[Interview] Stations de contrôle des poissons migrateurs, quézako ?

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Interview de Laurent Carry, Chargé de mission responsable des opérations de suivi des migrations de montaison au niveau des stations de contrôle de la Garonne 

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Laurent Carry est chargé de mission responsable des opérations de suivi des migrations de montaison au niveau des stations de contrôle de la Garonne, pour l’association Migado (Migrateurs Garonne-Dordogne-Charente-Seudre). Qu’est-ce qu’une station de contrôle des poissons migrateurs ? Comment ça fonctionne ? En quoi est-ce que c’est important ? Réponses avec notre expert ! 

Bonjour Laurent, vous travaillez pour l’association Migado.

Quelles sont les missions de l’association ?

 L’essence même de notre structure est d’acquérir des données essentielles à la gestion et la restauration des poissons migrateurs sur la Garonne, la Dordogne, la Charente et la Seudre. Nous avons la chance de travailler sur le seul bassin Européen où l’ensemble des poissons migrateurs d’Europe de l’Ouest est encore présent (saumon atlantique, truite de mer, grande alose, alose feinte, lamproie fluviatile, lamproie marine, anguille et esturgeon). MIGADO est aujourd’hui maître d’ouvrage de la plupart des actions menées sur ces espèces mais également animateur du plan national esturgeon et du groupe technique anguille du Comité de Gestion des Poissons Migrateurs.

Les associations techniques de référence telles que MIGADO ont globalement les mêmes missions sur l’ensemble des bassins : recueillir des données sur les poissons migrateurs, afin d’apporter de la connaissance aux dispositifs de gestion. Concrètement, on recense les effectifs de chaque espèce en comptant les poissons et on vérifie que les habitats puissent les accueillir. Ensuite selon les territoires, certains axes de travail peuvent être plus développés que d’autres.

Vous êtes chargé de mission responsable des opérations de suivi des migrations de montaison au niveau des stations de contrôle de la Garonne.

Concrètement, quel est votre métier ?

 Au-delà de recenser les espèces qui se présentent au niveau de ces sites stratégiques, mon travail consiste à mettre en perspective les données recueillies sur une année donnée pour connaître l’évolution interannuelle des effectifs de chaque population de poissons migrateurs et tenter d’expliquer, le cas échéant, l’origine de ces variations. Ces espèces ont des cycles de vie complexe, parcourent de très grandes distances et de ce fait, sont intégrateurs de tous les problèmes qu’ils rencontrent lors de leur migration. Ainsi, analyser des données issues de ces stations permet d’acquérir des éléments essentiels pour comprendre la migration de ces populations emblématiques.

Mon travail intègre également un volet « terrain », en renfort des techniciens présents sur les stations de contrôle : cela passe par la vérification des images captées, aller voir les poissons sur les zones de reproduction, vérifier le bon état des habitats, par exemple après une crue, effectuer du marquage sur les poissons pour mieux les suivre… Vous l’aurez compris, mon métier est un mélange entre technique et analyse !

Qu’est-ce qu’une station de contrôle des poissons

migrateurs ? Comment fonctionnent-elles ? En quoi occupent-elles une place centrale ?

Lors de leur migration, les poissons rencontrent de nombreux obstacles, conséquences de l’activité humaine, notamment des barrages hydroélectriques. L’équipement de ces ouvrages avec des dispositifs de franchissement (passe à poissons), est obligatoire sur certains cours d’eau comme la Garonne pour permettre la circulation des espèces. Afin de connaître l’efficacité des dispositifs mais aussi de suivre la dynamique des populations de poissons migrateurs, les stations de contrôles associées à des systèmes de comptages sont mis en place au niveau de ces systèmes de franchissement. On profite du fait que les poissons soient obligés de passer à tel endroit pour installer ce système permettant de les voir et de les compter. Sur la Garonne, il existe trois stations de contrôle situées respectivement, de l’aval vers l’amont, à Golfech, au Bazacle et à Carbonne¹. Il existe également sur le haut bassin, 2 stations installées au niveau d’ouvrage EDF, à Camon et Pointis².

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Quelles sont les différentes méthodes de comptage des poissons ? Comment fait-on pour différencier les espèces ? 

En fonction des spécificités du site mais également de l’objectif de la station de contrôle, différents moyens techniques sont mis en place pour comptabiliser et discriminer les individus qui empruntent les systèmes de franchissement. Le plus simple est d’obliger les poissons à passer, lors de leur franchissement, devant une vitre derrière laquelle nous installons une caméra reliée à un ordinateur équipé d’un logiciel d’acquisition d’images. Un technicien spécialisé dans la reconnaissance des espèces, reprend les séquences enregistrées et comptabilise l’ensemble des espèces. Ce travail, long et parfois fastidieux est de nos jours facilité par l’évolution des moyens informatiques (analyses d’images, Intelligence artificielle) qui permet de consacrer plus de temps à l’analyse plutôt qu’à l’acquisition de données. Avec cette technique, les informations recueillies sont bien sûr le nombre de poissons par espèces mais également la taille (saumons, silures, aloses) et parfois le sexe. L’avantage est que les poissons ne sont pas manipulés et continuent leur long chemin comme si de rien n’était ! 

Par ailleurs, sur des sites nécessitant la manipulation ou la capture d’individus, le contrôle peut se faire à l’aide d’un piège où les espèces se retrouveront dans un bassin avant d’être soit transportées dans le milieu naturel (zone de reproduction par exemple), soit vers une structure adaptée (pisciculture). Sur ces sites, en plus de la discrimination, on peut acquérir des données sur l’embonpoint, l’état sanitaire, le sexe et procéder à d’éventuels marquages pour des études particulières. Par contre, une vigilance accrue est à observer sur ces sites pour éviter de garder trop longtemps les poissons en captivité et ainsi ne pas trop les perturber dans leur migration.

Pourquoi est-il nécessaire de compter les poissons

migrateurs ? Que font les associations des données recueillies ? 

L’ensemble des données obtenues sur ces sites, sont analysées par MIGADO en les mettant en relation, par exemple avec les paramètres environnementaux (température, débit), ou avec le fonctionnement des usines hydroélectriques. Souvent, MIGADO s’associe avec de nombreux partenaires techniques pour partager ces informations et exploiter au mieux l’ensemble des informations recueillies tel que le laboratoire ECOLAB de l’Université Paul Sabatier de Toulouse, l’OFB, EDF R&D ou le Pôle Ecohydraulique de Toulouse. Après analyse, les résultats seront partagés et valorisés au sein de plusieurs assemblées tel que le groupe migrateur Garonne ou les groupes techniques du COGEPOMI. L’objectif final est d’apporter des éléments techniques pertinents permettant de prendre des décisions de gestion en faveur de ces espèces patrimoniales.

Le comptage des poissons migrateurs permet de mesurer les actions mises en place et d’orienter les dispositifs de gestion. Les données recueillies sont comparées une année sur l’autre pour améliorer le cycle de vie des espèces, elles valident et sont le point de départ du travail réalisé en faveur des poissons migrateurs. Par ailleurs, elles sont représentatives de l’état général des cours d’eau.

Quelles sont les singularités du bassin Adour-Garonne ?

Pour ce qui est du bassin Garonne Dordogne, comme nous l’avons dit, l’ensemble des poissons migrateurs de l’Europe de l’Ouest y sont présents. Il s’agit là d’une véritable richesse patrimoniale, parfois associés à de forts enjeux sociaux économiques qu’il faut à tout prix préserver. Ce bassin offre un réel potentiel d’accueil pour la reproduction ou le grossissement de la plupart des espèces. Cependant, ces habitats sont parfois fragiles, parfois difficilement accessibles et il est de notre responsabilité d’optimiser nos efforts pour que leur fréquentation par ces espèces emblématiques perdure. Travailler sur les poissons migrateurs permet en réalité de travailler sur tous les compartiments du cours d’eau, ils sont d’excellents indicateurs de l’état des milieux. Certains poissons migrateurs doivent pouvoir se rendre de l’estuaire à la montagne (et vice-versa) ; s’ils réussissent à faire tout le parcours, tous les efforts réalisés pour faciliter la vie de ces migrateurs dans nos cours d’eau bénéficiera également à toutes les espèces autochtones et de manière plus général, à l’ensemble du milieu aquatique.

¹Ces sites permettent de suivre les individus qui viennent de l’océan pour coloniser nos cours d’eau afin de se reproduire ou grossir. Les stations de contrôle sont situées à des points stratégiques : celle de Golfech, la première sur l’aval de la Garonne, permet par exemple de contrôler tous les individus qui entrent sur le bassin. Celles qui suivent sont placées en fonction de suivis particuliers, elles sont comme des points d’étape dans le parcours des poissons. Elles nous donnent des informations sur la libre circulation des poissons et la continuité écologique des cours d’eau.

²Elles permettent de contrôler et transporter le flux de jeunes saumons qui partent rejoindre l’océan.

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