"Je travaille sur l’expertise et l’accompagnement technique des projets"

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Un expert au service des écosystèmes

Pour rétablir le cycle de vie naturel des poissons migrateurs, il s’agit d’assurer la continuité écologique des cours d’eau.

Mais qu’est-ce que cela signifie-t-il exactement ?

Pour en savoir plus, rencontre avec Stéphane Jourdan, Expert au sein du service Expertise des Écosystèmes et des nouveaux enjeux à l’Agence de l’eau Artois-Picardie. 

L'expertise des écosystèmes

Bonjour Stéphane,

 

En quoi consiste votre métier ?

Je travaille au sein de la Direction des interventions, dont l’objectif est d’accompagner les porteurs de projets à mettre en place des actions pour la restauration de la continuité écologique des cours d’eau. Je travaille sur l’expertise et l’accompagnement technique des projets financés ensuite par l’agence de l’eau Artois-Picardie. Il peut s’agir de travaux d’aménagement sur des barrages (arasement des ouvrages ou installation de passes à poissons) ou d’aides en faveur des fédérations de pêche pour la réalisation des suivis des connaissances des poissons migrateurs, par l’intermédiaire des stations de comptage. En effet, les fédérations de pêche portent historiquement dans notre bassin des études de suivi biologique des poissons en général, des poissons migrateurs en particulier.

Le deuxième volet de mon travail est propre à l’Agence de l’eau Artois-Picardie, puisqu’il s’agit de l’intervention de l’agence de l’eau en maîtrise d’ouvrage directe sur des travaux de restauration de la continuité écologique des cours d’eau. De manière opérationnelle, depuis 2013, une cinquantaine d’ouvrages ont été rendus franchissables par les grands migrateurs.

Au quotidien, on analyse des dossiers techniques et on évalue l’opportunité des aides qui vont être apportées au bénéfice des collectivités. On se rend également sur le terrain pour suivre ces projets, avec bien entendu, un investissement plus important pour les travaux conduits en maîtrise d’ouvrage directe.

En quoi rétablir le cycle de vie naturel des poissons migrateurs et continuité écologique fonctionnent-ils ensemble ? 

On peut très facilement comprendre avec une comparaison imagée ; c’est inutile d’ouvrir des autoroutes aux poissons migrateurs s’ils ne trouvent pas ensuite les milieux où ils peuvent se reproduire puis, pour leur descendance, grandir ! La restauration de la continuité écologique passe donc par deux points clés : 

  • Garantir des habitats favorables pour la reproduction et le développement des jeunes individus (la retenue d’un barrage sans aménagement a un impact sur les habitats, notamment dans notre bassin à faibles pentes)
  •  Et donc atténuer l’impact que cet obstacle a ensuite en termes d’accès à ces habitats. On parle de l’effet « barrière ».

J’insiste sur le fait qu’il faut coupler les deux, la continuité écologique c’est aussi la restauration des habitats. Pour vous donner un ordre de grandeur, sur le bassin Artois-Picardie, un barrage d’1 mètre a un impact sur 1 km à l’amont, avec des habitats qui ne sont plus diversifiés et donc sans zone d’eau courante et de graviers propices à la reproduction des salmonidés et des agnathes. 

Pour les salmonidés, l’enjeu est donc centré sur leurs habitats de reproduction (aussi appelé habitat courant), qui sont caractérisés par des zones de cailloux dans le fond des cours d’eau. Pour les anguilles, notamment les individus en phase de migration, on parlera davantage d’un besoin en habitats diversifiés mais surtout de prévoir des aménagements adaptés et des dispositifs dédiés sur les ouvrages aménagés, l’objectif étant de leur donner accès au plus grand linéaire possible de cours d’eau par ces adaptations.

Sur le bassin Artois-Picardie, quelles sont les actions qui permettent de restaurer la continuité écologique des cours d’eau ? Quels sont les impacts sur les poissons migrateurs ?

Sur le bassin Artois-Picardie, 80% des aménagements concernent l’effacement des ouvrages. Pour les 20% restants, il s’agit d’ouvrages qui ont encore des usages et qui ne peuvent donc pas être arasés. Dans ce cas, nous travaillons sur les zones en amont via la diversification des habitats, avec la pose de granulat pour permettre aux salmonidés de se reproduire par exemple. Nous accompagnons également les collectivités dans l’installation de passes à poissons, qui permettent aux espèces de franchir un ouvrage et de ne pas être bloquées dans leur parcours migratoire. Il existe deux “familles” de passes à poissons : une pour les salmonidés qui sont des espèces nageantes, et une seconde catégorie dédiée pour les espèces « rampantes », comme les anguilles et les lamproies (rampes à rugosités, tapis de reptation). 

À Amiens par exemple, ces deux types de passes à poissons ont été installées au niveau de l’usine Saint-Michel. Sur le bassin versant de la Canche aussi, au niveau de la station de vidéo-comptage d’Auchy-lès-Hesdin, une augmentation importante des populations de poissons migrateurs a été observée depuis plusieurs années, où désormais plus de 300 poissons migrateurs empruntent annuellement cette passe à poissons. C’est le résultat bien entendu du travail de résorption des obstacles infranchissables mais également de l’ensemble des actions de restauration des milieux aquatiques sur le territoire. Nous rejoignons encore une fois la notion d’espèce parapluie.

Qu’entendez-vous par espèces parapluies ? Pourquoi est-ce que ce statut de protection est-il important ?

La notion d’espèce « parapluie » signifie que les travaux portés en faveur des poissons migrateurs vont permettre d’améliorer le fonctionnement écologique de leur milieu de vie et donc profiter à toute la biodiversité aquatique. Les poissons migrateurs sont donc des espèces emblématiques, puisqu’ils intègrent les principales pressions que subissent les cours d’eau du territoire, notamment celles liées à la dégradation de la qualité de l’eau, et celles liées aux altérations des habitats de vie, en lien par exemple avec les obstacles qu’ils peuvent rencontrer. La présence des poissons migrateurs traduit finalement une qualité physico-chimique de l’eau, qui résulte des politiques historiques conduites dans le domaine de l’eau mais aussi du bon état morphologique des rivières, donc de la continuité écologique. Donc si des travaux bénéficient aux poissons migrateurs, ils bénéficieront à la qualité de tous les milieux (insectes aquatiques, plantes, autres poissons…). Et de par leur statut de protection – l’anguille est par exemple en danger critique d’extinction et le saumon ou l’alose sont menacés – ils sont systématiquement intégrés aux programmes de travaux et de restauration des cours d’eau. Nous avons une responsabilité collective quant à leur préservation.  

Comment mesurer les effets des actions sur les poissons migrateurs ? 

Par l’observation sur le terrain et les suivis scientifiques¹. Par exemple, le fait de retrouver de jeunes saumons (juvéniles) ou de jeunes anguilles dans les habitats restaurés témoigne de l’efficacité des travaux effectués par rapport à l’accès à ces habitats et également par rapport à l’efficacité de la reproduction pour les salmonidés. D’ailleurs, le suivi des nids de ponte des salmonidés et des lamproies est un bon indicateur ; il est réalisé par les FDAAPPMA 59 et 62 et par le Piscipôle dans le département de la Somme. 

De même, le Suivi Scientifique Minimal est un dispositif national de suivi de restauration des cours d’eau. Engagé sur la Hem où est présente la plupart des espèces migratrices, ce suivi porte donc également sur l’efficacité des travaux  sur ces espèces « parapluie » en complément du cortège écologique (plantes, oiseaux, invertébrés aquatiques, faune…) qui en bénéficie plus globalement.

Pour finir, les fédérations de pêche sont chargées du suivi biologique des poissons migrateurs. Sur le bassin Artois-Picardie, la Fédération de Pêche du Pas-de-Calais publie régulièrement des informations actualisées sur les espèces migratrices.

¹Plusieurs outils permettent de mesurer les effets des actions sur les poissons migrateurs. Les Plans de gestion des poissons migrateurs (PLAGEPOMI) intègrent des études de connaissances sur les populations. Les données recueillies dans le cadre de la Directive cadre sur l’eau permettent également d’attester de la présence d’individus ou d’évaluer l’effet des travaux sur les poissons.

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