Des crevettes sentinelles de la qualité de l’eau !

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Entretien avec Laurent Viviani, co-fondateur de BIOMAE.

" La mesure des effets réels des micropolluants sur des organismes vivants est le meilleur moyen de déceler les perturbations du milieu les plus problématiques, sur lesquelles il faut agir en priorité. "

Laurent Viviani

interview viviani

Vous êtes donc des experts en mini-crevettes ?

En quelques sortes, oui. Plus clairement, nous faisons de la Biosurveillance de la qualité des milieux aquatiques. Nous réalisons des bioessais pour évaluer les effets sur le vivant des micropolluants présents dans les milieux aquatiques. Ces bioessais innovants sont réalisés sur des crevettes d’eau douce, sensibles aux polluants et non-invasives, appelées des gammares. C’est une méthode innovante que nous avons développé après plusieurs années de recherche, et qui permet d’enrichir le système de surveillance des eaux.

Nous travaillons avec les Agences de l’eau dans le cadre de la surveillance de la qualité des eaux orchestrée par la Directive Cadre sur l’Eau (DCE) d’une part, et dans le cadre d’études environnementales spécifiques d’autre part. 

Il existe des dizaines de milliers de micropolluants dans l’eau. Les rechercher à partir d’analyse chimique est impossible et trop cher, et ne renseigne pas sur leur dangerosité pour le vivant. Nous cherchons, aux côtés des Agences de l’eau, et de manière complémentaire aux analyses chimiques, à regarder l’effet des micropolluants sur le vivant pour mieux construire et évaluer des actions correctives visant à améliorer la qualité des milieux aquatiques. Notre prisme c’est l’analyse sur le vivant. Nous allons au-delà du constat de la présence de micropolluants, en cherchant la toxicité et les effets de ces derniers pour agir en priorité là où les effets écotoxiques sont présents.

Pourquoi avoir choisi les gammares ?

Les chercheurs d’Irstea, avec qui nous collaborons, ont choisi d’orienter leurs recherches sur le gammare car il s’agit d’une espèce sentinelle pertinente à plusieurs titres. Cette crevette d’eau douce est naturellement présente dans les cours d’eau français et européen. Elle joue un rôle clé dans le maintien des écosystèmes aquatiques de par son activité dans le recyclage de la matière organique et la biomasse alimentaire qu’elle représente pour d’autres animaux aquatiques, notamment les poissons.

Les gammares sont également reconnus scientifiquement pour faire partie des espèces les plus sensibles à la contamination chimique, ce sont de véritables éponges à polluants comme les métaux, les insecticides, les pyralènes ou encore les hydrocarbures.

Comment ça se passe et quelles informations obtenez-vous ?

Nous prélevons des crevettes dans nos élevages et les conditionnons dans nos laboratoires. Les crevettes sont ensuite encagées et transplantées directement dans les cours d’eau pour être exposées au contact de l’ensemble des micropolluants pendant plusieurs jours consécutifs. Les gammares sont ensuite retirés de l’eau et des biomarqueurs sont analysés aux Laboratoires. 

Les gammares sont des indicateurs biologiques et chimiques. Nous réalisons deux types d’analyses normalisées, ou en cours de normalisation, par l’AFNOR :

  • Des analyses de bioaccumulation de plus de 250 micropolluants, à savoir les concentrations de telle ou telle molécule dans chaque gammare. Les résultats sont ensuite interprétés à l’aide d’un référentiel national, micropolluant par micropolluant, pour déterminer si les concentrations mesurées dans les crevettes sont élevées ou non.
  • Des analyses d’écotoxicité, c’est-à-dire l’observation des effets réels sur les gammares, l’identification des perturbations : alimentation, reproduction, perturbation endocrinienne, etc. Cela permet de diagnostiquer un niveau de toxicité des milieux aquatiques.  

En matière de surveillance des milieux aquatiques, les outils disponibles aujourd’hui permettent de mesurer les concentrations chimiques via des prélèvements ponctuels d’eau ou d’évaluer l’état de la biodiversité permettant de répondre au suivi de l’état chimique et écologique des masses d’eau. 

Toutefois, pour comprendre d’où viennent les perturbations observées, comment y remédier, quelles actions de restaurations mettre en place, il faut aller plus loin. 

L’outil « gammare » a été développé pour mieux distinguer l’impact de la contamination chimique de ceux liés à l’habitat et aux facteurs écologiques (richesse et abondance nutritionnelle, compétition entre les espèces, présentes d’espèce invasives, etc.). Il permet d’identifier, parmi les contaminants mesurés, lesquels sont anormalement présents et par conséquent d’aider à identifier les sources à gérer. Il permet également de lier directement les effets toxiques observés à la présence d’une contamination chimique et donc d’aider à identifier les sites prioritaires et à orienter les aménagements de restauration les plus urgents à réaliser.

Quelle est la motivation finale de votre action ?

Au-delà de notre “expertise Gammare”, notre objectif est de participer au “cercle vertueux” de la recherche et des actions pour la protection de la ressource en eau et de notre environnement.

BIOMAE est né en 2014 après 10 années de recherche menées par l’Irstea et les agences de l’eau. L’objectif était de trouver la matrice biologique la plus pertinente pour mesurer la biodisponibilité des micropolluants dans l’eau et leurs effets écotoxiques les gammares donc. 

Depuis, la biosurveillance ne cesse de se développer. Nous conduisons aujourd’hui plus de 700 expositions de gammares par an dans les cours d’eau français pour le compte des 6 Agences de l’eau pour réaliser principalement des analyses de bioaccumulation pour répondre aux obligations réglementaires de la France envers l’Europe.

Par ailleurs les mesure des effets des micropolluants sur le vivant que nous réalisons également, permettent aux gestionnaires, je l’espère, de mieux orienter leurs plans d’actions d’une part et d’en contrôler l’efficacité a posteriori d’autre part.

Biomae - Biosurveillance des milieux aquatiques par encagement de gammares

Vidéo Basset - octobre 2018

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